L'île de Ré, confetti de la grande Région

 Patrick Salez, ile2re.info, 27 janvier 2016

 

Nous vivons depuis le 1er janvier dans une grande Région rassemblant Aquitaine, Poitou-Charentes et Limousin. Son nom sera connu en juillet (*). Que pouvons-nous attendre de cette réforme ?

 

1) Créer ces méga-Régions n'était pas la solution 

 

Fusionner 22 régions de métropole en 13 méga-régions est certes une bonne façon de leur assurer une visibilité et un pouvoir d'influence à l'échelle européenne. Mais la taille ne fait pas la puissance, celle-ci reposant plutôt sur les compétences et le budget. Les compétences ont été renforcées en matière de développement économique, d'aménagement du territoire et de formation professionnelle. Mais le budget annuel (2,5 milliards d'euros pour une région de 5,8 millions d'habitants) n'est pas à la hauteur des enjeux, malgré une hausse de la fiscalité régionale. Ce qui compte dans une telle réforme c'est aussi l'amélioration des services aux citoyens : notre grande Région, la plus étendue de France, aura du mal à assurer ces services et à faire face à la perte de proximité. Enfin contrairement à ce qui a été annoncé, la dépense publique ne diminuera pas: pensons aux coûts des transferts de personnel ; aux frais de déplacement des élus sur une superficie équivalente à celle de l'Autriche ; à l'alignement  par le haut des régimes indemnitaires; la mutualisation ne pourra pas compenser ces dépenses supplémentaires. Un constat sans appel pour cette nouvelle décentralisation à la française : on a étendu les régions au lieu de les renforcer !

 

2) La grande Région ne résorbera pas les fractures territoriales 

 

La première décision prise par Alain Rousset, aussitôt nommé président de cette grande Région, réconfortera certainement ceux qui désespèrent de la politique : il restera député, cumulant ainsi les deux mandats. Les priorités régionales seront le développement économique et l'emploi tout d'abord, la transition énergétique ensuite. Mais pour un aménageur du territoire, il est une autre priorité qui réclame tous les efforts, la réduction des fractures territoriales : départements ruraux en déclin, centres des villes moyennes désertés par les commerces, centres-bourgs dévitalisés, petites communes en déshérence car trop éloignées des agglomérations ou du littoral. Il y a fort à parier, que les grandes filières (aéronautique, chimie, etc..), le développement portuaire et la métropole bordelaise concentreront l'essentiel des investissements aux dépens des territoires périphériques. Il ne fait jamais bon être loin des centres de décision et ce d'autant plus en période de disette financière quand saupoudrage rime avec gaspillage. Que vaudront les solidarités territoriales face à une métropole bordelaise qui doit accueillir, d'ici 2030, 100.000 personnes et les entreprises et services qui vont avec ?

 

3) L'île de Ré, enfant gâté de la grande Région

 

Enfant gâté ! Cette image de l'île, véhiculée par les médias, est celle que la Grande Région retiendra ; et ce d'autant plus que la question de l'insertion sociale, présente sur l'île, est plutôt du ressort du département. Image d'un territoire bien pourvu en services : ce qui est vrai si nous pensons par exemple à notre densité de médecins ou au nombre de déchetteries par rapport à la Creuse ou, sans aller jusque là, la Haute-Saintonge. Image d''un territoire disposant d'abondantes recettes financières, communales et intercommunales. De quoi assurer un niveau de services et d'équipements confortable pour 18.000 habitants à l'année  et accueillir à peu près convenablement 150.000 personnes l'été (mais pas plus, sinon la capacité d'accueil sera dépassée). L'île fut oubliée par Ségolène Royal pour des raisons politiciennes, Alain Rousset l'oubliera par souci de concentration des moyens. 

 

 4) L'île de Ré devra avant tout compter sur ses propres forces

 

Notre île a du pain sur la planche. En s'attelant au PLU intercommunal (**) qui constituera le cœur de l'occupation des espaces et de leur protection contre les risques de submersion à l'horizon 2020. En fondant les aménagements à venir sur une étude approfondie de la capacité d'accueil et de développement. En initiant des projets novateurs comme par exemple la pépinière d'entreprises du Bois-Plage récemment envisagée (***). Celle-ci devrait, à mon avis, assurer la mutualisation des services logistiques et de conseil pour l'ensemble des entreprises de l'île, économisant ainsi des dépenses et de l'espace. Soyons plus ambitieux encore, créons une pépinière bas carbone !

 

Je ne crois pas en revanche à deux choses :

- Tout d'abord, au seuil « magique » des 20.000 habitants, à partir duquel la vie à l'année (je n'aime toujours pas « vie permanente ») serait garantie.  Car nous n'atteindrons pas une telle population. Nous sommes en effet entre 18.100 et 18.300 aujourd'hui et les 337 logements sociaux (essentiels) prévus d'ici 2020 nous apporteront environ 800 habitants supplémentaires. La très grande majorité des autres logements construits seront des résidences secondaires pour d'évidentes raisons de prix du foncier. Et l'ex-canton Nord ne verra pas sa population à l'année augmenter du fait des contraintes de constructibilité dues au PPRL et des temps de trajet vers le continent appelés à augmenter au moins six mois par an. Le Nord a d'ailleurs perdu 250 résidents principaux sur les 5 dernières années.

- Ensuite, à la vision essentiellement quantitative du développement touristique, je m'en suis expliqué dans un article précédent (****). Chinois des classes moyennes, bobos Américains (« This Ré is so wonderful, you know »), Européens renonçant aux voyages vers le sud de la Méditerranée pour de cruelles raisons : les touristes afflueront. Nul besoin de « stratégie de marque » de l'île  pour concurrencer nos voisins, il y en aura pour tout le monde. Et notre économie est trop dépendante du seul tourisme, nous devons songer à la diversifier en valorisant nos atouts insulaires: relance sérieuse d'une  agriculture raisonnée (pas seulement la pomme de terre et la vigne), circuits de vente alimentaire de proximité, activités marines, énergies renouvelables, etc... Une urgence serait de compléter les réseaux de services à la population : la couverture numérique de l'île en très haut débit par exemple, même très coûteuse (nous ne manquons pas de moyens), sera utile à tous, résidents, touristes et entreprises.

 

Certaines de ces propositions rejoignent les compétences régionales et des fonds européens sont disponibles, par exemple, pour l'accès à internet (*****). Un enjeu pour les élus est donc d'essayer d'attirer l' attention (sait-on jamais?) de la grande Région. Ils disposeront de trois moyens pour le faire : un bon lobbying; un bon élu régional « référent » pour notre territoire ; et une place pour l'île dans la nouvelle Conférence Territoriale de l'Action Publique, cette instance de dialogue entre la Région et ses collectivités territoriales membres.

 

 

(*) : j'ai suggéré au journal Sud-Ouest le nom d'AQUILCHAPO (en inversant Poitou- Charentes) mais je crains que ce ne soit pas retenu.

 

(**) : mon précédent article est consacré aux enjeux du PLUi.

 

(***) : j'avais proposé une telle pépinière au début de la concertation sur le SCOT en 2010.

 

(****) : voir « Tourisme sur l'île de Ré : pépite ou poison ? Avril 2015.

 

(*****) : ces fonds ont pour l'île l'avantage d'être attribués spécifiquement aux anciennes régions.

 


Ci-dessous et, pour mémoire,
la présentation de la nouvelle région
que nous avions réalisée lors des élections régionales
de décembre